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Les petites histoires de Serge
6 avril 2013

La profession se féminise - épisode 6

 


   

stickers-symbole-homme-femme

 

    Ça y est, le moment tant attendu est arrivé, vous êtes fin prêts, à deux doigts d’en découdre avec des apprenants pas toujours disposés à remplir leur mission d’élève, et, le torse bombé, vous inspirez une dernière fois avant de vous jeter à corps perdu dans la leçon que vous avez fini d’élaborer pas plus tard que la veille, à la mi-temps de PSG – Barcelone, alors que tout espoir semblait perdu de pondre un cours savamment dosé et minuté au quart de poil. Plus rien ne peut ébranler votre confiance, votre estime de soi est à son maximum, les membres répondent à la perfection aux injonctions de votre esprit vif et alerte, la gestuelle est en place, le discours sera fluide et les quelques courts silences bien calculés (à la main comme il se doit). Aucun nuage à l’horizon, vous démarrez votre propos avec la certitude d’une victoire pédagogique décisive dans votre guerre totale à l’ignorance crasse.

    - Bonjour à tous, installez-vous.

    Les Moijeux s’asseyent de bonne grâce et sortent leurs affaires de leur cartable. Avec votre sens aiguisé du devoir de fonctionnaire, vous repérez en un clin d’œil les deux chaises anormalement vides et remplissez le billet d’absence, insignifiant rectangle de papier d’un vert soutenu, couleur évoquant l’espoir renouvelé chaque jour d’une virginité qui se vérifie si rarement. Vous glissez ledit billet à l’élève Tambouille qui s’empresse de l’apporter à la boîte disposée à l’autre bout du couloir en lui précisant bien que le papier, ça ne se mange pas, hein. Relevant la tête, vous embrassez la classe de votre regard bienveillant. C’est parti.

    - Aujourd’hui, nous allons découvrir la notion de…
    - Madame... heu… Monsieur, j’ai pas mon cahier de leçons.

    Je m’arrête. Un grain de sable nommé Gazouille vient de gripper la machine bien huilée. Mais si personne d’autre n’a relevé cette bourde inexcusable, je peux encore…

    - Pfff… pouffe Zigouille.
    - Waohein ? s’interroge Bafouille.

    Mouvement discret d’une foule qui se décomplexe à vitesse grand V.

    - Ha hé ho elle l’a appelé « Madame » ha ha ha… s’esclaffe Glandouille en mode replay, des fois que certains auraient raté le direct.

    C’est mort. L’agitation gagne du terrain. Alors je m’interromps, laisse passer l’orage de sourires moqueurs avec une moue dubitative, mieux vaut ne pas surenchérir ni accorder trop d’importance à ce fait mineur, car c’est en général dans ces circonstances troubles qu’on a tôt fait de s’enfoncer, et plus tu t’agites et plus tu précipites ta perte, ben ouais, comme dans les sables mouvants quoi.
    Mon estime de soi vient d’en prendre un sacré coup, mais le calme revient après quelques minutes de remobilisation générale.

    - Donc, reprenons : maintenant que vous maîtrisez les espaces vectoriels normés, nous allons étudier les applications bilinéaires symétriques qui…
    - Madam-oh pardon ! Monsieur, moi je…

    Mais c’est pas vrai ça ! Je fusille Zigouille du regard et constate amèrement qu’il n’a même pas fait exprès d’inverser les genres. Oh bonne mère ! Je ferme les yeux et soupire de dépit. Non mais où va-t-on. Comment peut-on se tromper à ce point, je vous le demande. Certes, mes biceps sont aussi proéminents que mes avant-bras ; certes, il m’arrive de faire preuve d’une attention toute maternelle à l’égard de certains moijeux s’ils en ressentent le besoin ; certes encore, la proportion d’enseignants masculins dans le secondaire baisse inexorablement. Mais tout de même ! j’arbore une magnifique moustache qui ne laisse planer aucun doute sur ma virilité et une voix de baryton/basse à l’avenant ! En salle des profs, je me sens comme un coq en pâte, moi, entouré, que dis-je ! harcelé par les collègues de la gent féminine.

    Déambulant telle une âme en peine entre les rangs vers le fond de la salle, je cogite dans un silence qui a repris ses droits grâce à mon inquiétant mutisme. Que dois-je faire pour satisfaire cet exigeant public qui n’a pas encore pu profiter des cours d’éducation sexuelle ? Me gaver de poisson d’élevage ? Envisager une cure d’œstrogènes ? Tenter l’opération de la dernière chance pour devenir contralto ?

    Je m’approche de la fenêtre du fond que je caresse de mon appendice nasal et mes yeux s’évadent vers un monde moins cruel, un monde où les élèves de 6ème savent accorder les épithètes en genre avec le nom qu’ils qualifient. Ma conscience s’envole à l’autre bout de la France, où mon collègue de techno Charly, lui, n’a jamais eu à vivre pareille disgrâce, lui qui devant une fenêtre donnant sur le ciel penserait bien plus à une belle paire de…

    - Mada- oouuuups ! Scusez-moi, je...

    Sigh.

 

 

Back on stage - épisode 7 - Les petites histoires de Serge

Alors Môsieur, y l'était bien vot' stage ?Je me retournai vers l'auteur de cette interrogation en apparence anodine, notre Glandouille national, toujours prêt à distraire l'enseignant de sa Mission divine, à savoir l'extermination de la cancritude généralisée qui toujours planait sur les 6ème4 tel un orage menaçant - mais fort heureusement il se trouve que je veille au grain.

http://sergewelyseev.canalblog.com

 

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